Tout a commencé par des insomnies, des maux de tête et une certaine irritabilité perçue par ma partenaire. Après plusieurs jours sans dormir et sans manger, car mon agitation croissante m’empêchait de rester concentrée sur une tâche, comme la préparation d’un plat, mon discours était de plus en plus incohérent. Au lieu de retourner au travail le lundi suivant ces premiers symptômes, j’ai appelé mes parents à la rescousse. Je me suis retrouvée chez eux pour essayer de récupérer de ce qui semblait être un burnout. Malgré les somnifères, le sommeil ne venait toujours pas ou très peu, suffisamment peu pour continuer à inquiéter tout le monde autour de moi. Finalement après quelques jours de « repos », la paranoïa et les hallucinations ont commencé à s’installer. J’étais persuadée que la police me recherchait, que notre maison était remplie de micros et que nous étions sur écoute, attendant que je confesse un crime innommable dont je ne connaissais même pas la nature. Carole, ma sœur ainée et anesthésiste-réanimateur, qui, j’en étais sûre, m’avait hypnotisée, commençait à perdre patience de mon comportement psychotique. Un jour, elle m’a présenté noir sur blanc l’emploi du temps d’une journée en hôpital psychiatrique en espérant m’effrayer.
· Lever
· Petit déjeuner et médicaments
· Pause clope infinie
· Déjeuner
· Sieste
· Télévision
· Pause clope infinie
· Médicaments
· Dîner
· Extinction des feux.
Mon attitude devenant de plus en plus erratique, mes parents et Léa, ma compagne, n’ont eu d’autres choix que de m’emmener en pleine nuit aux urgences psychiatriques. Pendant près de 3 semaines, l’emploi du temps dépeint par ma sœur a donc été mon quotidien. J’ai ensuite été gardée en unité ouverte.
« Gardée » est bien le terme : pas d’IRM, pas de scanner, pas d’examens complémentaires, 4 psychiatres, aucun diagnostic réellement posé. Souvent, comme dans mon cas, la personne est « gardée » en hôpital psychiatrique avec de lourds traitements médicamenteux qui n’ont aucun effet, si ce n’est d’enfoncer le malade dans ses hallucinations et sa démence. Pendant 2 semaines, les infirmières, sans en référer aux psychiatres, ont interdit les visites à ma famille. J’ai failli être internée en unité fermée sans que mes proches aient leur mot à dire sur la situation. Fort heureusement, cela n’est pas arrivé, grâce à une psychiatre remplaçante qui a eu du flair.
Grâce à cette psychiatre et son mari neurologue, je suis arrivée le lendemain à l’hôpital de Purpan à Toulouse. C’était in extremis, car en arrivant à l’hôpital, je suis tombée en catatonie profonde pendant les longues semaines suivantes. Mes jambes ont arrêté de fonctionner, mon cœur était en tachycardie constante et je ne pouvais plus rien faire à part respirer. Je n’ai aucun souvenir de cette période, si ce n‘est une vague impression de flotter dans le néant, le rien le plus absolu que je n’ai jamais connu. Après plusieurs semaines en hôpital psychiatrique, puis à cause de l’état catatonique, j’ai perdu tellement de poids que je devais frôler les 35kg, alors que mon poids de forme se situe entre 58 et 60kg. Mon état physique s’est dégradé à une rapidité stupéfiante. À ce moment-là, mes fonctions vitales étaient engagées. À 24 ans, et avec une santé de cheval, ma famille s’attendait à me perdre.
Après la catatonie, je suis revenue à moi pour le reste de la bataille. J’ai vécu des secondes qui duraient des heures et des heures qui duraient des années. J’étais plongée dans des hallucinations improbables, surtout effrayantes, qui n’en finissaient plus. Tout mon corps était douloureux, à tel point, que dans mon esprit malade, j’étais déjà morte et j’avais été envoyée en enfer. C’était la seule solution logique que mon cerveau m’ait donné à ce moment-là. Tous les bruits étaient insupportables, la lumière me brûlait les yeux, la tachycardie constante me donnait l’impression de me noyer, ma tête explosait littéralement dans mon crâne. Beaucoup d’examens étaient difficilement supportables avec ce cerveau en ébullition. A chaque flash lumineux, pendant les EEG par exemple, je ressentais comme des clous qui s’enfonçaient dans mon crâne. Les soins des aides-soignantes étaient extrêmement douloureux car toutes mes cellules étaient en feu. Au-delà de la douleur, il faut également vivre avec la culpabilité des crises de violences physiques et verbales que j’ai fait subir aux personnes que j’aime le plus au monde, et qui ne me ressemblaient pas.
Un des éléments les plus étranges que je puisse rapporter est le suivant : mon espace-temps était tellement perturbé que je vivais les événements de la même nature les uns après les autres. Tous les repas successivement, les soins d’hygiène les uns après les autres, les hallucinations à tour de rôle. Il semble que mon cerveau ait emmagasiné tous ces moments (réels ou fictifs) et me les ait donnés quand j’ai été capable de les vivre, rangés par catégorie. J’ai tout de même un cerveau organisé.
J’ai donc de nombreux souvenirs, des souvenirs épars mais affreusement vifs de la réalité complètement distordue dans laquelle j’ai vécu pendant ces mois-là. Encore aujourd’hui, des souvenirs remontent aléatoirement quand je parle à des amis, ou que je vis des évènements spécifiques.
Ensuite, il a fallu tout réapprendre, avaler, mâcher, marcher, parler, réfléchir, comprendre, courir, vivre, tout en restant dans un brouillard qui ne se levait jamais complètement. C’est seulement après le retour à la maison, et l’arrêt des neuroleptiques et autres joyeusetés de types benzodiazépines, que je me suis sentie réintégrer mon corps et mon cœur.
Un an après, je viens de faire ma dernière cure de Rituximab (chimiothérapie douce). J’ai repris le travail à temps partiel thérapeutique, et ma vie a repris son cours. Malgré une certaine fatigue résiduelle et peut-être, je dis bien peut-être, une petite irritabilité (selon Léa), je n’ai plus aucun symptôme.
Insomnie, incohérence, résistance aux médicaments, paranoïa et hallucinations : voilà les éléments annonciateurs d’une encéphalite anti-NMDA. Bien que les symptômes paraissent très proches de ceux d’une maladie psychiatrique, il s’agit bien d’une maladie neurologique, on ne le répétera jamais assez.
Différents points sur lesquels j’aimerais attirer l’attention du lecteur s’il a eu le courage d’arriver jusque-là :
1 – La mortalité de cette maladie s’élève à environ 4%. Un pourcentage très faible, certes, mais il faut cependant s’interroger quant au nombre de patients décédés avant d’avoir pu être diagnostiqués.
2 – Il est impératif de se rappeler que dans nos pays, avec une couverture sociale et une médecine de pointe, nous pouvons, dans 75% des cas, nous en sortir sans séquelle. Cet accès au soin n’est pas disponible partout dans le monde.
3 – L’errance de diagnostic avec passage en hôpital psychiatrique est encore monnaie courante dans le cas de l’encéphalite anti-NMDA, ce qui semble dramatique dans une société où les maladies auto-immunes courent de plus en plus les rues. Je n’oserais impliquer directement les préjugés sociaux qui préfèrent accuser les femmes de folie avant de rechercher une autre cause à un comportement incohérent.
NB : 80% des cas de cette maladie sont féminins.
Combien de personnes se sont retrouvées dans le même cas que moi ? Combien ont été diagnostiquées et surtout combien ne l’ont pas été ? Combien sont morts en HP avec une étiquette « BDA » (bouffées délirantes) ou « Schizophrène » sans que jamais leurs proches n’aient pu comprendre ? Combien sont encore en train de se battre ?